Distance et diagnostic tardif du cancer colorectal en Corse : des enjeux organisationnels ?

Le stade au diagnostic du cancer colorectal constitue un indicateur majeur, révélateur à la fois de la performance clinique et organisationnelle des systèmes de santé. Diagnostiquer tôt permet d'éviter des traitements lourds et de maîtriser les coûts, tandis qu'un diagnostic tardif signale souvent des failles dans la capacité du système à organiser la prévention et la détection précoce. Dans un contexte où la concentration des plateaux techniques accentue les distances d'accès, notamment en territoires insulaires ou ruraux, ces enjeux prennent une dimension particulière. Cette étude s'appuie sur les données du Registre général des cancers de Corse (RG2C), couvrant 1 119 cas incidents entre 2017 et 2022, croisées avec des indicateurs socio-territoriaux (indice FDep15, temps d'accès routiers aux centres experts). Nous avons modélisé les déterminants du stade au diagnostic via des modèles logit ordonnés, en tenant compte du genre, de l'âge et de la privation. Une originalité méthodologique réside dans l'exploitation des circonstances précises du diagnostic, regroupées en quatre catégories (symptômes, suivi médical, urgence, « ne sait pas »), ouvrant la « boîte noire » des trajectoires amont. Les résultats montrent que la distance augmente significativement la probabilité d'un diagnostic à un stade avancé, effet particulièrement marqué chez les femmes vivant en zones rurales. Au-delà d'un simple allongement des délais, nous cherchons à analyser si la distance modifie la nature même de la porte d'entrée dans la filière de soins, en influençant les circonstances du diagnostic : davantage d'urgences ou de diagnostics symptomatiques, potentiellement moins de détections opportunistes. Cette approche vise à déterminer si ces modalités d'entrée expliquent en partie le diagnostic tardif pour cette population spécifique, et à interroger les frontières territoriales et organisationnelles sous-jacentes. Ces analyses s'inscrivent dans la littérature sur les organisations de santé, en soulignant les coûts invisibles de coordination et la nécessité de mettre en place des architectures hybrides, articulant dispositifs territorialisés et solutions numériques telles que la télémédecine, envisagées comme un levier complémentaire et non substituable à la relation humaine.