The managerial discourse and Jacques Lacan[Jacques Lacan et le discours managérial]

Ce papier vise à porter un éclairage sur ce que la théorie lacanienne des discours peut apporter à la théorie des organisations. Si cet auteur a été mobilisé dans la sphère du management c'est avant tout pour chercher à rendre compte de la conduite des individus dans les organisations. On sait en effet que la théorie lacanienne est avant toute une théorie du sujet. Cette dernière constitue une ressource permettant de constituer un outil clinique et/ou critique d'investigation (Arnaud et Vidaillet, 2018). Lacan a pu affirmer que « le langage c'est l'entrée dans l'ordre social » (Lacan, 1966, 2002). De ce fait nous nous proposons ici de confronter les apports théoriques de Lacan au cadre social que constituent les organisations, en mettant le langage au centre de leur fonctionnement. Nous adosserons notre approche au concept de discours tel que l'a dégagé la théorie lacanienne. Ce concept nous paraît particulièrement pertinent pour révéler la structure des langages managériaux contemporains, permettant ainsi de compléter des travaux critiques contemporains axés avant tout sur la mise en évidence des ressorts de la rhétorique managériale. Nous explicitons tout d'abord la vision lacanienne du lien social et organisationnel. Dans une deuxième partie, nous relions les tensions du discours managérial à cette définition du lien social et à la manière dont il s'inscrit dans les organisations. Enfin, fidèles en cela à une injonction de Lacan, nous cherchons à le « dépasser » en convoquant l'analyse que Butler (2004) fait du discours performatif. L'approche lacanienne du discours permet de renouveler l'analyse des organisations en dépassant la mise en évidence des effets rhétoriques des discours managériaux. Nous avons aussi jeté les bases d'un dépassement de Lacan par Butler en cherchant à ouvrir un champ des possibles trop souvent prisonnier d'une lecture bénédictine du fondateur de la Cause Freudienne. Cette approche a de notre point de vue le mérite de chercher à articuler économie psychique du sujet et structure du discours (« pourquoi ça marche »), en permettant de mettre en évidence les effets des discours (« comment ça marche »). Lacan permet aussi de rendre intelligible la schize ou a minima l'ambivalence des discours managériaux. Malgré leur degré d'élaboration et parfois leur finesse, ces discours ne peuvent jamais totalement masquer le Réel à l'œuvre. Ce Réel opère chez Lacan à l'instar de la taupe shakesperienne, reprise plus tard par Hegel. La taupe n'émerge qu'au sortir de longues galeries souterraines qu'elle a creusées. Le Réel et le sens n'apparaissent que dans l'après-coup, ce qui est un point clé de l'analyse de discours lacanienne. Loin d'offrir une réponse doctrinale à tous les questionnements possibles, l'œuvre de Lacan ouvre un espace théorique pour de nouvelles interrogations dans le champ organisationnel. Plus précisément elle ouvre la possibilité d'une morphogénèse permettant de mieux déterminer la forme, la structure et l'imaginaire des organisations. Il s'agit notamment de repérer les effets structurants de tout discours d'une part et leur potentialité performative d'autre part. Une recherche clinique future pourra rendre compte des difficultés mais aussi des potentialités de la subjectivation au travail dans un tel cadre théorique.