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… Mais, de quelle épistémologie ont donc besoin les projets complexes ?

Author

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  • Jean Michel Larrasquet

    (ESTIA INSTITUTE OF TECHNOLOGY)

  • Véronique Pilnière

    (ESTIA INSTITUTE OF TECHNOLOGY)

Abstract

Les projets ont tous en commun de se projeter, d'une manière ou d'une autre, dans le futur. Concernant le futur, au-delà des discours « introductifs » qui assurent que l'on vit un monde qui avance en « ruptures », on réintroduit la plupart du temps, consciemment ou pas, une certaine continuité des tendances actuelles quitte à penser qu'on est en mesure de prévoir dans les grandes lignes comment elles vont s'infléchir ou se moduler… Mais en fait, on est bien dans l'impossibilité absolue de prévoir les ruptures lourdes qui vont inévitablement intervenir et qui pour beaucoup d'entre elles viendront de surcroît de l'extérieur de notre « clôture cognitive », (notre cadre de réflexion, quel que soit d'ailleurs celui qui finalement s'imposera à chacun de nous !) : « les dinosaures n'ont pas disparu en suivant les lois de Darwin, mais à cause de la chute d'une météorite géante dans le golfe du Mexique ! ». Notre futur ?… : Quid des évolutions climatiques ? Quid de la question énergétique ? Quid des nouveaux équilibres socio-politiques mondiaux ? Quid des implantations industrielles ? Quid des mouvements d'urbanisation ? Quid des inégalités : iront-elles en se réduisant ? en s'amplifiant ? Quid des guerres et des migrations mondiales ? Quid de la situation sanitaire mondiale, de la faim dans le monde ? Quid du rôle des ordinateurs et des robots (peut-être serons-nous truffés de dispositifs pervasifs généralisés, peut-être seulement les riches dans les régions riches, ou peut-être pas…) ? Quid des sciences neurocognitives et sociocognitives ? Quid des bio- et nano- sciences et technologies ? Quid du transhumanisme ? Pour ne pas parler de l'interaction en mailles serrées (récursivité massive) de tous ces phénomènes et des millions d'autres que nous ne savons pas identifier ! Impossible de savoir comment le monde vivra dans quelques années et comment nos projets seront conditionnés par lui, s'y inscriront et, à leur échelle, le modèleront ! Construire des réponses rationalistes « prédictives », c'est de la création artistique (et dans ce cas, bienvenue !!!), ou de la politique, des réflexions éthiques, des lancements d'alerte (et alors, bienvenus aussi !!!), mais croire que cela peut être de la science ou de la prévision, renvoie à une incompréhension profonde de ce qui se cache derrière les épistémologies de la complexité (précisément adaptées à ce type de question) ou à la mauvaise foi ! Nous croyons que faire l'effort de définir à l'avance le monde tel qu'il sera demain et la façon dont les projets auxquels nous nous intéressons s'y articuleront présente le danger d'imposer finalement (souvent subrepticement !) à notre réflexion un cadre épistémologique de nature rationaliste. De notre point de vue, un tel cadre s'oppose aux épistémologies de la complexité et est bien malvenu pour ce genre de travail. En effet, nous ne sommes pas capables de dire « voilà le monde dans 5, 10 ou 35 ans » ! Alors, ne nous embarquons dans une aventure qui pourrait le laisser croire ! Car un tel horizon risque fort d'être compris par nombre de personnes qui participeront à la réflexion et par ceux qui prendront connaissance de ses résultats, comme constituant un « point de fuite » (au sens de la perspective cavalière, c'est-à-dire le point où se rencontrent toutes les lignes…). En d'autres termes, cette imposition d'un point de convergence risque d'imposer (encore une fois subrepticement) des raisonnements linéaires et « continuistes » (allant donc à contresens des ambitions généralement avancées), surtout si la démarche est du type : i) définissons le point d'arrivée (de convergence ou « de fuite »), puis ii) définissons le chemin pour y aller. Nous savons tous parfaitement que nous évoluons dans l'incertitude la plus absolue, faite de nombreuses ruptures imprévisibles. En effet, les facteurs qu'il faudrait pouvoir prendre en considération sont innombrables, interagissant en récursivité extrême, leurs modes d'interactions étant quasi-inconnus, et probablement eux-mêmes instables… En effet, les agrégats économiques et sociologiques n'ont pas grand intérêt pour ce type de réflexion, voire même présentent le danger d'un raisonnement ‘conformiste' en imposant les catégories habituellement utilisées sans les questionner. Et de plus, comme souligné à l'instant, il y a fort à parier que les principaux chocs viendront du dehors de notre « clôture cognitive » (c'est-à-dire du dehors de l'espace formé par les éléments que nous sommes en mesure d'identifier, d'imaginer et de « mettre en scène » dans leurs interactions). Certes, cette clôture peut bien évidemment s'ouvrir et s'étendre -y compris de manière rupturiste et créative- au gré des apprentissages que nous réalisons en avançant dans nos réflexions (qu'elles soient menées dans un cadre collectif [du type de celles que nous menons à bien ici] ou/et par chacun à partir de son expérience propre). Mais nous n'avons pas pour autant la capacité de prise de hauteur nécessaire pour « dominer » ce maelström à un horizon si lointain. On parle de « clôture cognitive » pour exprimer cette limite de l'espace cognitif (et de son élasticité limitée), c'est-à-dire le cadre limité de ce que nous avons capacité à imaginer et à « mettre en scène » dans nos représentations mentales (ceci a à voir avec le concept de « bounded rationality » d'Herbert Simon). Alors, comment envisager sérieusement de modéliser (au sens habituel, à prétention scientifique, du terme) cette cible « à 5, 10 ou 30 ans » et les choses que nous devons faire ou ne pas faire pour y parvenir ?1 L'ambition épistémologique de décrire scientifiquement le futur du monde est hors de portée de l'intelligence humaine… et de l'intelligence artificielle d'ailleurs : travailler en modélisation mathématique (ou logicielle) à partir de la « dynamique des systèmes complexes » au sens de Forrester2 ne change rien à la question, bien au contraire ! Cela génère le danger de se laisser « duper » par la technologie ! Ne laissons pas se développer cette illusion que les mathématiques et les algorithmes vont, par leur simple utilisation, donner ipso facto leurs « certificats de scientificité » aux travaux de ce type. Et pourtant, de nombreux travaux, recherche et études, notamment sur les questions liées aux projets, se fondent sur cette imposture épistémologique ! Pour notre part, nous pensons que nous ne devons pas laisser faire sans réfléchir à d'autres modes d'approche ! Car notre posture n'est pas du nihilisme ! Cela ne veut pas dire qu'il faut oublier le souci de rigueur, bien au contraire ! Mais cela signifie qu'il nous faut inventer des approches différentes pour travailler autrement ! C'est pour cela que des forums de réflexion comme ce colloque sont particulièrement bienvenus ! Face aux projets complexes, les éléments et les interactions que nous serons capables de prendre en compte seront ce qu'ils seront, au gré de la richesse et de la densité des apports des uns et des autres, des discussions que nous aurons, de la capacité des uns à convaincre les autres de l'importance de considérer tel ou tel aspect des choses. Il devient important de travailler de façon coopérative, continue, d'admettre les remises en cause, y compris profondes (plutôt que de s'enferrer pour « maintenir le cap », pour respecter des spécifications qui se révèlent intenables, ou en continuant à ignorer des modifications de l'environnement qui impactent la rationalité du projet...). Soyons sûrs qu'un autre groupe de projet à Tokyo, à Vancouver, à Mar del Plata ou à Tombouctou produirait autre chose ! Qui aura tort, qui aura raison ? Pas de réponse : les résultats qu'une équipe produira (avec ou sans logiciel !) ne doivent pas être considérés comme scientifiques au sens habituel du terme ! De notre point de vue, ce travail a pour objet d'ouvrir les esprits et les consciences sur les opportunités et les dangers des modes d'approche retenus, et donc sur le comment agir aujourd'hui d'une façon qui soit compatible avec les bases épistémologiques (et éthiques, dans tous les termes du développement durable et responsable) évoquées ci-dessus. C'est donc la question des méthodes d'approche des projets qui est posée (dans cette nouvelle perspective épistémologique), c'est-à-dire quelles nouvelles méthodes peut-on construire en matière de « gestion » de projets et comment ces méthodes peuvent-elles « domestiquer » l'ensemble des outils et des méthodes existantes. L'important aujourd'hui est que la réflexion se mène. Son sens profond est donc dans l'interaction la plus forte possible avec la communauté des gestionnaires de projet (praticiens et chercheurs) et au fond, avec la société dans son ensemble La qualité d'une telle réflexion viendra de la qualité des personnes et des groupes prenant part à ce travail participatif, de la densité et de la qualité des interactions qui seront générées, de la capacité à former des réseaux actifs qui travaillent à la construction de ce nouveau paradigme en gestation… en assumant, pour ce qui nous concerne aussi, aussi que le chaos agira ! Les groupes humains comme les nôtres (à notre petite échelle) lui fournissent bien entendu quelques éléments plus ou moins (!) réfléchis (n'oublions pas que nous sommes désormais dans ‘l'anthropocène')… Quelque chose sortira, en espérant que pour les choses bonnes (que nous essaierons bien sûr de définir et de favoriser), son fameux « effet papillon » se mettra en marche ! Pour nous, il est sûr que le résultat de notre travail collaboratif ne sera pas scientifique (au sens de Popper). Puisse-t-il être producteur d'intelligence collective, d'intelligibilité et de prise de conscience des enjeux, de solidarité et de réflexions sur les choses à ne pas faire ou celles qu'il faudrait faire (en s'intéressant aussi au comment les faire) dans l'agir stratégique comme dans celui du quotidien !

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  • Jean Michel Larrasquet & Véronique Pilnière, 2016. "… Mais, de quelle épistémologie ont donc besoin les projets complexes ?," Post-Print hal-01430795, HAL.
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