Mesurer la demande : enjeu essentiel, outils insuffisants, nouveaux indicateurs

Les deux grandes traditions de la macroéconomie sont la "néoclassique", qui se base sur des modèles d'offre (qui accepte la loi de Say, selon laquelle le niveau de l'activité économique est déterminé par l'offre) et la "keynésienne" qui utilise des modèles de demande (c'est alors l'offre qui s'ajuste à la demande). Ce débat n'ayant pas de raison d'être cantonné au domaine théorique, il est essentiel de pouvoir se poser la question empirique de si c'est l'offre ou la demande qui détermine le niveau de production, notamment pour définir des politiques économiques. En particulier, par exemple pour lutter contre le chômage, il est essentiel de savoir s'il est dû à un problème de demande de biens et services insuffisante, ou simplement à des rigidités sur le marché du travail. En 2015, le second type d'explication et de recommandations de politiques économiques est dominant. La demande n'étant pas observable directement en tant que telle, en effet, l'égalité ressources-emplois et donc offre agrégée-demande agrégée n'est qu'une égalité comptable, systématiquement vérifiée ex-post. Elle ne permet donc pas de rendre compte d'un excès d'offre ou de demande. C'est pourquoi, pour mesurer le niveau de la demande par rapport à l'offre à un moment donné, le PIB potentiel et l'output gap sont les indicateurs utilisés habituellement. Or, les méthodes des institutions productrices de statistiques visant à calculer l'output gap existantes ne suffisent pas à estimer le niveau de la demande. On peut se demander si la préconisation quasi-­exclusive de "politiques d'offre" (comme la flexibilisation des marchés du travail) par les instances de décision économiques (BCE et autres banques centrales, Commission Européenne, OCDE etc) est liée à ces méthodes de calcul. Par ailleurs, les politiques macroéconomiques sont dominées depuis les années 2000 par un « nouveau consensus » (Taylor 2010). Dans ce cadre théorique, les politiques économiques visent à atténuer les fluctuations du PIB autour de son niveau « naturel », en visant à atteindre un NAIRU (taux de chômage n'accélérant pas l'inflation), notamment en recourant au taux d'intérêt dans ce but. Or, si ces politiques sont parvenues à maintenir une inflation basse dans les pays développés, le cadre dans lequel elles sont définies ne permet pas de prendre en considération l'existence potentielle d'un chômage « structurel » élevé dû à une demande globale structurellement atone. Avoir de bons indicateurs empiriques du niveau de la demande permettrait donc potentiellement d'éviter de sous­-estimer ce déterminant essentiel de l'activité économique d'un pays. Nous cherchons à améliorer les mesures de l'output gap existantes visant à déduire un excédent ou une insuffisance de la demande de l'écart entre le PIB potentiel (inobservable, dépendant de la quantité de ressources productives disponibles) et la production réelle (observable, c'est le PIB). Le cadre adapté à ce type d'analyse sont les modèles espace-­état, qui sont des outils dynamiques permettant de déduire des valeurs inobservables de relations entre variables observables. En incluant des variables qui sont des indicateurs (imparfaits) du niveau de la demande, nous déduisons un output gap qui illustre les excès ou manques de demande. Nous visons donc à synthétiser la littérature existante, puis à définir une méthodologie améliorant les indicateurs existants, et l'appliquer aux cas français et américains.