Du mouvement dans les subjectivités : exercices spirituels et standardisation des existences

Les débats sur l'étendue de l'agentivité (agency) traversent les études en théorie des organisations. Il y eut le temps où s'affrontaient les approches en termes purement de structure ou de fonction, où l'acteur individuel tend à n'avoir aucun pouvoir d'action et celles où l'individu serait maître de ses choix et actions comme s'il se situait dans un vide structurel. Giddens (1986, 1991) a proposé une dialectique du structurel où d'un point de vue dynamique structure et agentivité s'impliquent récursivement et où une certaine réflexivité permet d'en influencer le cours. Latour (Latour & Guilhot, 2007, Latour, 2015) étend le champ de l'agentivité à des actants non humains et à la matière. La stratégie garde sa possibilité au sein des arrangements institutionnels (e.g. Beckert, 1999). Des mécanismes causaux viennent contraindre les modélisations basés sur les agents (Miller, 2015), etc. Pourtant, il est une forme bien particulière d'agentivité qui nous semble avoir été très peu discutée dans notre champ, hormis certains études foucaldiennes : la capacité, aux moyens d'exercices sur soi-même, de transformer ses propres représentations et pratiques, et partant sa propre existence. Ce type d'exercices était au coeur de la philosophie antique selon Pierre Hadot (1995, 2002), qui faisait de la philosophie non pas une production de systèmes, de discours ou de raisonnements mais avant tout une manière de vivre. Nous voudrions montrer l'intérêt d'une telle perspective pour les études sur les organisations à partir de l'étude du cas d'un groupe théâtral danois, Odin Teatret. Nous montrerons d'abord brièvement certains aspects surprenants apparus lors d'une approche de type ethnographique de cette organisation, puis nous les analyserons successivement au travers de l'oeuvre de Pierre Hadot et de la place des exercices spirituels dans la philosophie antique, puis de Michel Foucault (Foucault, 1984a, 1984b, 2001) qui retire de cette pratique ancienne des exercices la possibilité d'une esthétique de l'existence et de Peter Sloterdijk (2011) qui montre malicieusement que ces exercices n'ont pas disparu et servent aujourd'hui à nous distinguer et nous immuniser.