Entre une surenchère d’objectifs divergents, des outils d’évaluations autonomisés, une pratique qui ne veut se dire et une demande de résultats : où situer l’évaluation en éducation musicale ?

L'éducation musicale semble marquée par une série de particularités, de paradoxes fondateurs et de divergences d'acception qui exacerbent l'écart et la tension entre d'une part les pratiques concrètes d'évaluation qu'on y rencontre (ainsi que les ressources et les représentations qu'elles utilisent implicitement ou non), d'autre part les cadres variés que nous propose la philosophie de l'art pour penser la nature de ses bénéfices possibles, et enfin les obstacles et les croyances qu'ont dévoilées, depuis près de cinquante ans, les sciences humaines et sociales. Cependant, des dispositions légales obligent depuis peu les institutions publiques en charge des missions d'éducation culturelle à fournir des résultats quantifiables de leurs actions, censés justifier à chaque exercice comptable de leur transparence, de leur efficience et de leur utilité sociale. Face à une pratique difficile à penser, et faute d'un accord a minima sur des objectifs, des moyens et des indicateurs tous trois cohérents et explicitables (sans lesquels il ne pourrait y avoir de mesure sérieuse des effets d'une action ou d'un programme), on risque d'assister ici à un double escamotage de la question de l'évaluation : soit par le bas, avec l'importation de nouveaux outils de mesure et l'application d'une couche de légitimité scientifique et à des pratiques existantes (critiquables en ce qu'elles fabriquent, pour l'évaluation, des activités autonomes, du solfège aux activités pédagogiques avec verbalisation), soit par le haut en soutenant qu'il serait impossible ou sacrilège de prétendre évaluer quoi que ce soit dans ce champ traversé par les promesses d'idéaux et les lois impénétrables du don et de l'inspiration. Sans prétendre à une synthèse exhaustive, nous tenterons d'analyser ici, au moyen d'approches variées dans leur méthodes comme dans leur objet, les raisons ou les fonctions qui ont creusé un tel gouffre entre nos pratiques évaluatives et nos outils à penser des objectifs et des moyens d'action. Car c'est précisément dans ce gouffre que se tient une pratique musicale dont il s'agit désormais de penser et d'évaluer le fonctionnement et le bénéfice.