La situation économique de l'Allemagne occidentale depuis la réforme monétaire

[fre] Il est souvent admis que la réforme monétaire effectuée en juin 1948 a mis un terme à une période d'anarchie, et que, depuis, l'économie de l'Allemagne occidentale est entrée dans une phase de stabilisation, sinon d'expansion. Une telle interprétation de la situation n'est pas entièrement inexacte : il est certain que le désordre monétaire (inflation et multiplicité des monnaies) favorisant les activités illégales et malsaines était une des causes essentielles — et, au moment de la réforme, celle qui paraissait la plus facile à combattre — de la désorganisation générale de la vie allemande. . Mais, l'évolution ultérieure des événements, a montré que le problème était beaucoup plus complexé. En premier lieu, la réforme monétaire elle-même a entraîné la scission définitive de l'Allemagne en deux blocs. A l'introduction du mark occidental à Berlin, les autorités soviétiques ripostèrent d'abord par une réforme monétaire séparée dans leur zone. Berlin, point de rencontre des deux monnaies, polarisa et intensifia les antagonismes. Le blocus de cette ville, en juillet 1948, fut suivi d'une suppression presque totale des échanges interzonaux jusqu'au mois de mai 1949. . Quelles que soient les responsabilités initiales — car en tout état de cause les échanges commerciaux entre les deux parties de l'Allemagne étaient très faibles déjà avant la réforme monétaire et le sont restés encore depuis l'apaisement — il est indiscutable que le partage du pays en deux (et dans une certaine mesure en trois jusqu'à la fusion de la zone française avec la bizone entreprise au cours de l'année 1949) présente de sérieux obstacles économiques, puisqu'il supprime des courants d'échanges normaux et complémentaires et oblige chaque moitié de l'Allemagne, soit à accroître ses importations, soit à investir des capitaux supplémentaires pour l'établissement de nouvelles industries. . Et effet — et c'est là un second facteur de déséquilibre structurel, valable pour la zone soviétique également — dans un pays appauvri par la guerre, et dans une moindre mesure par les réparations (dont il n'est pas question de contester la légitimité), grevé de charges d'occupation et de charges sociales extraordinaires — sans parler de la désorganisation et des pluralités administratives — la pénurie initiale de capitaux était telle, qu'une politique autarcique analogue à celle de 1933-1940 était inconcevable. L'Allemagne occidentale doit encore importer des quantités considérables de denrées alimentaires et même de produits finis, alors que ses exportations — eu égard aux besoins intérieurs en biens de consommation — se composaient jusqu'en 1949 essentiellement de matières premières (charbon, ferraille) et que sa balance commerciale se soldait régulièrement par un déficit important. L'Allemagne a donc eu besoin, dès 1945, de crédits ; ceux-ci lui furent accordés par les Puissances occupantes (aide U.K. et G.A.R.I.O.A. et à partir de 1948 par le plan Marshall. Mais le déficit n'en subsiste pas moins encore au début de 1950 et son atténuation, sinon son élimination, constitue un des problèmes majeurs de l'économie allemande. . Enfin, il existe un troisième facteur de déséquilibre structurel particulier à l'Allemagne occidentale, c'est celui de l'accroissement continu de la population et, plus précisément, de la population adulte par retour des prisonniers, des expulsés des pays de l'Europe orientale et des réfugiés de la zone soviétique. Le flux de population nouvelle ne parvient à s'intégrer que difficilement et alimente le chômage ; il entraine d'autre part, un accroissement de la consommation et, par voie de conséquence, de certaines importations. . Ainsi donc, la réforme monétaire et les mesures de financement alliées antérieures à la réforme monétaire, en créant certaines facilités, ont masqué l'origine profonde de difficultés qui n'étaient pas seulement dans la monnaie et les prix. . Depuis la fin de l'année 1949, c'est-à-dire depuis l'accroissement inquiétant du chômage, l'aggravation de la situation oblige les dirigeants allemands à prendre de nouvelles dispositions plus ou moins hâtives (programme de travaux publics et d'investissements). Tout en rejetant les responsabilités sur les occupants et sur la situation économique mondiale ils réclament de nouveaux crédits extérieurs, et, subsidiairement, de nouvelles concessions dans le statut d'occupation. Sans méconnaître le rôle que peuvent jouer ces facteurs, on peut se demander si toutes les réformes nécessaires d'ordre structurel ont été prises par les dirigeants de Bonn à l'intérieur même du cadre allemand. . Avant de passer à l'examen de ces différents aspects de la conjoncture allemande, il est nécessaire de donner quelques indications sur les statistiques utilisées. . Presque tous les renseignements chiffrés et la majorité des graphiques sont extraits de la revue « Wirtschaft und Statistik » éditée par l'Office bizonal de Statistique. Seulement, comme la fusion de la zone française n'est pas encore achevée et que dans le domaine statistique elle n'a été entreprise que pendant le second semestre de 1949, les séries disponibles ne sont pas continues. Toutefois, cet inconvénient est mineur, le « poids » de la zone française dans la trizone — lorsqu'il s'agit de phénomènes économiques d'ordre général — étant faible : inférieur à 10 %. . Berlin-ouest soulève également des difficultés. Les statistiques de son activité économique sont tantôt incluses, tantôt exclues des statistiques de la trizone. . Les comparaisons avec la période d'avant-guerre sont dans bien des domaines — commerce extérieur, finances, par exemple — délicates, malgré des calculs effectués a posteriori. Il est de plus évident que les relations et les chiffres caractéristiques de l'économie tels qu'ils ont pu être déterminés par zones pour une année d'avant- guerre (et encore l'année choisie n'est-elle pas toujours la meilleure) ne sont pas nécessairement « normaux » dans les circonstances actuelles. Si la coupure actuelle de l'Allemagne devait se prolonger, il est très possible que le sens de la plupart des comparaisons établies avec l'avant-guerre s'affaiblirait progressivement, de nouveaux rapports se dégageraient avec le recul du temps et le perfectionnement des statistiques de l'Allemagne occidentale. . Enfin, il existe pour la période actuelle plusieurs évaluations du revenu national et de ses composantes (investissements notamment) effectuées, soit par des services allemands, soit par l'O.E.C.E.. Les écarts assez sensibles entre les différents chiffres imposent la prudence dans leur exploitation.