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Houellebecq, Sperme et sang

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  • Murielle Lucie Clement

    (ASCA - Amsterdam School of Cultural Analysis - UvA - Universiteit van Amsterdam)

Abstract

Le sperme pour la sexualité, les genres, les filiations et le sang pour les races, les classes aussi. N'oublions pas qu'en France on parle toujours de sang noble ou bleu ou pur pour décrire l'appartenance aux classes et de sang mêlé ou pur pour l'appartenance aux races. Est-ce que chez Michel Houellebecq, les classes, les races, les sexes sont intimement liés ? Ont-ils un rapport ? Je veux le découvrir. Pour ce faire j'analyserai plus profondément une fiction animalière de L'Extension du domaine de la lutte, les écrits de Bruno dans Les Particules élémentaires, les réflexions du narrateur dans Lanzarote, le concept du tourisme sexuel dans Plateforme, et quelques fantasmagories oniriques prises dans les différents romans.Ce que je veux dire sur Michel Houellebecq se rapporte uniquement à son œuvre, entièrement aux personnages mis en scène dans les romans ; rechercher si leurs visions clouent les autres dans une certaine position ou les empêchent quelquefois de se voir eux-mêmes. D'autres part, je n'utilise que les textes signés par Houellebecq lui-même, j'évite systématiquement des paroles qui lui sont attribuées au cours d'entretiens avec des journalistes ou des confrères. Une seule exception est faite pour les textes d'Interventions qui ont été revus et corrigés par Houellebecq en personne.L'approche méthodologique que j'utilise est celle du « close reading » car je la juge le mieux appropriée à l'analyse critico-spectrale que j'ai faite. Trois des thèmes sur lesquels j'insiste plus particulièrement sont « l'abject », « l'amour » et « l'exotisme » Pour l'abject je m'appuie sur le travail de Julia Kristeva et pour l'exotisme sur celui de J.-M. Moura, Jenifer Yee et Edward Saïd. Pour l'amour, j'essaie d'en définir les différentes sortes qui apparaissent dans la diégèse. Enfin, j'essaie de déterminer s'il est possible de placer Houellebecq dans une tradition littéraire et dans ce cas laquelle.Sperme et sang donc et leur parallèle : amour et haine que je traite dans trois chapitres. Dans Race, classe et genre, je démontre l'importance du sang dans l'œuvre et j'étudie les courants sous-jacents au discours de plusieurs protagonistes qu'ils soient narrateur, héros ou entité narrative. Au cours du chapitre Images d'amour, de tendresse et de compassion, je dévoile ces sentiments dans le cadre fictionnel et je note la manière dont ils se manifestent. Pour finalement dans Loi, politique et économie faire la synthèse entre les différents systèmes de valeurs exposés par les narrateurs d'une part et de mes observations d'autre part avant d'en tirer la conclusion. Je présente en annexe les termes qui se rapportent aux scènes sexuelles.Dans le premier chapitre j'ai démontré l'importance du sang chez Michel Houellebecq et je suis en mesure d'affirmer que le sang, leitmotiv récurrent et ambivalent, irrigue l'œuvre et influence la vision des héros houellebecquiens. Que ce soit par la fantasmagorie onirique ou littéraire, leur vision, inondée de sang, louvoie aux limites de l'abjection. Abjecte, la fantaisie animalière du narrateur autodiégétique de L'Extension du domaine de la lutte qui présente l'émasculation comme la révélation de la connaissance avec la phrase empruntée aux textes védiques « Tat twam asi ». Abjecte par les frissons d'horreur qu'elle engendre chez le lecteur. Frissons d'horreur occasionnés par la succession de miroirs dans laquelle le lecteur se mire sans en être tout à fait conscient. « Tu es ça », lui chuchote chaque ouvrage dans l'habilité de l'auteur à le faire glisser d'un niveau narratif à l'autre. Abjects aussi les rêves qui reflètent, somme toute, la détresse sanglante et rancunière des héros. Mais c'est aussi sanglante et sanguinaire que cette détresse les pousse à la haine de l'Autre et à souhaiter son élimination. Ainsi en est-il de Bruno qui tente d'évincer le Noir de sa classe, mais aussi sa grand-mère. Ainsi en est-il de Michel des Particules élémentaires qui voudra supprimer la race humaine. C'est aussi le cas du narrateur de L'Extension du domaine de la lutte qui veut faire tuer le Noir par Tisserand. C'est aussi le narrateur de Lanzarote qui annihile l'identité lesbienne de Pam et Barbara et, de même, le cas de Michel de Plateforme qui réduit les habitants du Tiers-monde en esclavage sexuel comme nous le verrons plus loin. Abjecte la misogynie qui se dégage sans ambages du discours aux insultes gratuites. Abjection perverse qui nous fait sourire dans le discours de Bruno, nous ébranle aussi quelquefois lorsqu'il poignarde sa grand-mère en fantasme. Dans cette optique, les héros, qui appartiennent tous aux cadres, font entendre une tendance raciste, misogyne et xénophobe. A leur décharge, nous devons noter qu'ils sont tous très mal dans leur peau et se haïssent tout autant qu'ils détestent leurs semblables. Ils ne peuvent qu'emprunter l'issue sociale offerte par la société dans laquelle ils vivent. Toutefois, au travers du thème du sang, nous pouvons voir une similarité relier les romans. Le fil rouge de la solitude ou pire de l'esseulement des personnages principaux qui les parcourt et dégage une ligne de négativité qui se profile le long de l'œuvre. Dans L'Extension du domaine de la lutte, c'est le déni de la sexualité avec Tisserand puceau et le Narrateur qui tente de s'émasculer. Le déni de la vision est mis en scène dans Les Particules élémentaires avec les yeux crevés, mangés, arrachés, morts. Lanzarote nous offre le déni de l'amitié avec l'incapacité du Narrateur de rester en contact avec Pam et Barbara et la personne de Rudi qui est tout autre que ce qu'il aurait pu croire et dans Plateforme éclate le déni de la pensée par la tête du musulman écrabouillée et l'attentat qui met fin au plan minutieusement élaboré. Dans le second chapitre, j'ai démontré que l'amour, chez Houellebecq, libéré de cette connotation généralement positive qu'on lui accole ordinairement, permet d'entrevoir que les différents liens relationnels, regroupés sous ce substantif, peuvent revêtir une forme tout autant destructrice que constructrice. Seul l'amour lesbien semble résister aux aléas de la vie, même s'il est mis au service du plaisir phallocentrique dans Lanzarote et du voyeurisme dans Plateforme et Les Particules élémentaires. D'autre part, j'ai démontré l'incapacité des héros houellebecquiens à aimer, leur impossibilité à trouver le bonheur, l'acharnement de leur destinée à leur refuser la plénitude dans la compagnie de l'Autre. En dernier lieu, j'ai analysé l'essai H.P. Lovecraft, et découvert qu'il contient en essence l'œuvre ultérieure de Houellebecq qui le déclare être son premier roman constitué par un seul personnage. Ce personnage, un écrivain raciste jusqu'à l'obsession, présente dans sa personnalité, des ressemblances évidentes avec certains héros houellebecquiens. Pour ma part, je suis tentée de le considéré dans la saga houellebecquienne comme le patriarche dont les traits de caractères xénophobes, misogynes et racistes ressurgissent indéniablement dans les héros des romans ultérieurs. H.P. Lovecraft, l'ancêtre de Bruno, Michel et des narrateurs diégétiques, homo et hétéro. Dans Loi, politique et économie, je démontre que le concept du tourisme sexuel organisé imaginé par Michel est une instrumentalisation de l'Autre. D'autre part, que le système économique formulé par le narrateur de L'Extension du domaine de la lutte est non seulement erroné, mais sa théorie pernicieuse puisque grâce à elle il démontre à Raphaël la nécessité de tuer. En outre, il omet de prendre en considération l'éventualité de s'investir avant d'acquérir des profits, ce qui est contraire à la loi du marché.En ce qui concerne la mutation génétique élaborée par Michel dans Les Particules élémentaires, son application laisse entrevoir un régime totalitaire similaire à celui qui a sévi dans l'ancienne URSS. Ce régime totalitaire, à plus ou moins brève échéance, deviendrait nécessaire pour assurer la survie des « parcs à plaisirs » situés dans les contrées du Tiers-monde où les Occidentaux viendraient exercer leur libido déficiente si le système prôné par Michel était appliqué.Dans mon analyse des personnages, j'ai remarqué la grande similitude de la personnalité des héros, et leur et interchangeabilité dans les romans et d'un roman à l'autre. Toutefois, bien qu'ils en diffèrent par leur intérêt en l'économie et le sexe, je maintiens leur ressemblance à H.P. Lovecraft. D'autre part, j'ai aussi démontré que le narrateur de Lanzarote n'émet pas de jugement négatif sur la pédophilie et que le concept de Michel dans Plateforme, peut être interprété comme une incitation à la pédophilie. J'ai souligné l'ambiguïté entre la diégèse et la réalité quotidienne du narrataire et la difficulté pour ce dernier à dissocier les deux. Et puis, j'ai aussi démontré qu'il était possible de voir une écriture engagée dans ces romans, mais que Plateforme pouvait s'inscrire dans la tradition de l'exotisme comme la conçoit J.-M. Moura. Pour ce faire, j'ai analysé le concept de l'exotisme et quelques-unes de ses manifestations dans la littérature.En conclusion, dans les romans houellebecquiens, les scènes de sexe récurrentes camouflent une tendance. Elles servent de paravent à l'idéologie des personnages. Elles fascinent par leur crudité et aveuglent tout autant le lecteur qui est de ce fait habilement manipulé vers l'acceptation de l'intolérable. Le sexe chez Michel Houellebecq est une sauce onctueuse, savoureuse, voluptueuse qui enveloppe la pièce de résistance où surnage des particules innomées. Force de l'écrivain que de jeter aux pages l'innommable dans une complexité symphonique.Chez Houellebecq, pas de « normal » ou de « pathologique » ; cette séparation n'existe pas. Son héros observe, agit, décrit, juge quelquefois ou émet une opinion sans y attacher une valeur profonde. Tout se passe sous l'effet du moment. Seules quelques propensions résistent et réapparaissent au long des différents ouvrages.Les femmes non-occidentales sont dépeintes par clichés qui n'envient rien au style d'un Loti ou d'un Pierre Mille. Evidemment, dans Plateforme, Michel prône la suprématie de la prostituée thaïe sur la prostituée européenne, mais est-ce vraiment bien là un compliment dont les Thaïes peuvent être fières. Au contraire, j'ai démontré que cela soutient une théorie qui repose sur l'exotisme. De cette étude, il ressort que la neurasthénie et la dépression des héros les poussent à émettre des insultes à l'égard de leur entourage, quelle que soit son origine, quel que soit le degré de parenté, qui peuvent se résumer en un simple syntagme : « Tous des cons » idéologie simpliste s'il en fut. Autant nous pouvons voir que le héros houellebecquien est empreint de la haine de tout conformisme, autant nous pouvons voir qu'il hait les turbulences post-soixante-huitardes. Pour tout dire, loin d'être un titan, il est un homoncule foutrement emmêlé dans les liens étrangleurs de ses affects étalés avec complaisance dans les méandres d'un égocentrisme géant et une réflexion engagée dans des considérations économiques.Un autre point que j'ai traité est l'interchangeabilité des héros. Dans chacun d'eux se profilent, à plus ou moins fortes doses, l'égocentrisme, la dépression, la haine de soi et de l'Autre avec une accentuation réelle sur la misogynie, le racisme et la xénophobie, mais peut-être encore plus que tout, la solitude. A cela je voudrais ajouter que non seulement ils sont substituables entre eux mais que j'ai décelé des ressemblances indéniables avec la personnalité de H.P. Lovecraft, écrivain pour lequel Michel Houellebecq a la plus grande admiration.Discours polyphonique où perce un supplément d'âme, distinction entre l'écrivain et l'écrivant, tout aussi impondérable qu'insaisissable. La partition de Houellebecq chante l'apothéose du sexe si ce n'est de la sexualité. Une sexophonie assourdissante qui trépasse les frontières des sous-entendus et du qu'en dira-t-on, sur cette route de l'exotisme où tant d'autres se sont embarqués avant lui. Jouant de l'ethnocentrisme avec un esprit traditionnel si familier au lecteur, il vante les charmes du Sud. Peu importe alors qu'il s'agisse ou non d'une utopie ; on a là dans la diégèse des systèmes cohérents dans leur approche de l'Autre et leur représentation de l'espace fictionnel mais aussi dans le déni de l'amour, de l'amitié, de la pensée et de la vision par les contradictions et les différentes perspectives.Si la mort prend bien des fois le pas sur la vie diégétique, l'amour en est totalement absent. Le terme d'amour apparaît mais sans qu'il soit possible d'assurer qu'il ne soit employé pour désigner la sexualité. Seul peut-être la distinction émise par Michel nous éclairerait si les mêmes termes n'étaient employés pour définir les unes et les autres : « Il y a la sexualité des gens qui s'aiment et la sexualité des gens qui ne s'aiment pas. »Cette étude pourrait cependant paraître bien partiale si n'était envisagé un autre aspect du problème. En général, lorsque l'on rencontre des êtres on ne voit que 50% de leur personnalité. Le côté soleil, dirons-nous. Le côté ombre, les trois-quarts du temps, demeure inconnu. Il y a des personnes qui dévoilent un peu plus d'elles-mêmes. Mettons 80% dans le meilleur des cas. Le processus peut aussi se produire si l'on fait plus ample connaissance. Mais bien des fois, il restera 20% cachés ; bien souvent parce que la personne ne les connaît pas elle-même. Une sorte de terra icognita de la personnalité. Dans ces 20%, il y a toutes ces penchants, ces tics, ces mesquineries, bref tout ce que personne n'aime voir de soi.Et ces 20%, c'est justement ceux que Houellebecq a choisi d'éclairer. Alors, bien sûr, les héros ont des tendances xénophobes, racistes, misogynes puisque seuls sont mis en relief ces 20% d'habitude enfouis au plus profond de l'être. Ces 20% que nous préférons occulter. Il en résulte que les personnages sont des reflets de personnages ; les ombres de la caverne de Platon ; ce qui en soi est inquiétant, car ils trahissent l'existence de personnages qui se meuvent dans une réalité étrangère à la diégèse. La nôtre. Depuis la sortie de Plateforme, il y a eu le onze septembre avec les cris, les pleurs, l'information et la désinformation, mais surtout, la résurgence de la peur atavique de l'Autre et de l'horreur par l'invisible rendu tangible et la haine concrétisée. Le monde entier, chaque individu, a pu apprécier, juger, s'insurger contre ou comprendre les Palestiniens qui allumaient des feux de joie, tiraient hilares des salves en l'air et dansaient pour célébrer les deux tours effondrées. Alors, Michel de Plateforme, un monstre ? Je ne le pense pas. Tout au plus humain. Un de ces hommes que le lecteur côtoie journellement dans le bus, dans le métro, au bureau, à l'université, au laboratoire, à l'Elysée. Des hommes normaux, disons à 80%, avec ces fameux 20% que l'on préfère occulter. Ce sont donc ces 20% que les romans de Michel Houellebecq passent au peigne fin, analysent au microscope et en font ressortir chaque rugosité. Tous ces petits cancers que chacun porte en soi. Qu'il faut traiter ! Pour les voir, il faut oser regarder. Ce n'est qu'à ce prix qu'ils ne deviendront pas des gangrènes monstrueuses qui pourriront l'entière société.Pour ma part, je pense avoir mis en lumière tout au plus 20% de l'œuvre de Houellebecq. Pour les autres 80%, il faudra un autre mémoire, une autre thèse, une biographie ou une autobiographie, voire un roman avec peut-être comme personnage principal Houellebecq. Alors là, oui on pourra parler de l'auteur. En attendant, je me suis limitée aux personnages.Je pense, comme je l'ai écrit plus haut, que les héros houellebecquiens ont des tendances racistes, misogynes et xénophobes. Mais, je pense aussi qu'ils sont un signal d'alarme et nous tendent un miroir où sonder notre image pour déceler si au fond de nous ne s'embusque pas une parcelle, aussi infinitésimale soit-elle, de celles de leurs particularités qui nous déplaisent tant.

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  • Murielle Lucie Clement, 2003. "Houellebecq, Sperme et sang," Post-Print halshs-00008671, HAL.
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