Changer la règle, cacher le problème : la performativité au cœur de la politique publique

Cet article s'appuie sur la littérature sur la performativité du langage comptable (Fauré et al., 2010 ; Gond et al., 2016), en particulier les actes de calcul, pour démontrer comment la mise en place d'un indicateur unique peut contribuer à rendre les inégalités à la fois visibles et invisibles. Nous utilisons la loi Lamy de 2014 en France comme étude de cas exploratoire pour aborder cette question. Cette loi vise à recentrer les politiques publiques sur moins de quartiers prioritaires urbains afin de simplifier et d'améliorer leur efficacité. En nous appuyant sur les documents produits par divers acteurs impliqués dans les contrats de ville 2014-2022, nous explorons le choix de passer d'un critère composite à un critère unique basé sur le revenu pour définir ces quartiers. Premièrement, nous cherchons à décortiquer la réalité sociale produite par ce nouveau critère et à rendre visible les conséquences du critère unique. Nous sommes particulièrement intéressés par la présence/absence de discours autour des quartiers exclus de cette nouvelle politique urbaine et de l'évaluation de son efficacité, qui ont tous deux renforcé une approche statistique plutôt qu'une approche contextualisée de la pauvreté. Deuxièmement, nous discutons de la manière dont l'invisibilisation des inégalités est compensée par des interprétations locales qui déforment et détournent la nature performative de l'indicateur. Nous soulignons comment ces interprétations, bien qu'elles tentent de révéler une réalité cachée par l'indicateur unique, renforcent finalement la réalité sociale qu'il produit. Cet article vise donc à fournir une illustration critique de la façon dont les indicateurs construisent ce qui compte tout en ignorant ce qui ne compte plus (Kornberger et Carter, 2010) et leurs conditions de performativité.