Vulnérabilité énergétique des ménages. Mise en perspective d'une approche statique et dynamique

Avec la diffusion croissante de l'automobile, la voiture est devenue une nécessité de la vie quotidienne, engendrant de nouvelles problématiques d'inégalités sociales d'accès à la voiture (Paulo, 2006), de dépendance automobile (Dupuy, 1999) et de vulnérabilité énergétique (Dodson et Sipe, 2007). Ce risque se trouve aggravé par la répartition spatiale inappropriée des groupes sociaux au regard des coûts de transport (Orfeuil et Polacchini, 1999), en lien avec le renchérissement de l'énergie. Le thème de la vulnérabilité énergétique est devenu politiquement sensible dans un contexte de réformes fiscales et de mesures de tarification amenant les pouvoirs publics à s'intéresser aux répercussions sociales de ces mesures (Bureau, 2011; Litman, 2010), en particulier pour les ménages les plus dépendants aux énergies fossiles (Combet, 2013; Mathur and Morris, 2014; Murray and Rivers, 2015). La facture énergétique n'est toutefois que l'une des composantes du budget automobile, qui est également affecté par le renforcement des dépenses contraintes (Accardo et al., 2007; Bigot, 2009; Sanchez-Gonzales, 2014), en l'absence de mécanismes de marché permettant d'amortir les tendances inflationnistes. Les dépenses de transport sont aussi susceptibles de faire l'objet d'arbitrages avec d'autres composantes du budget telles que le logement (e.g., Coulombel, 2018), notamment dans les métropoles où l'immobilier est devenu plus cher (Friggit, 2011; Cusin, 2013). La question se pose donc de savoir quelles approches et quels indicateurs mobiliser pour mesurer la vulnérabilité. Le taux d'effort énergétique peut être utilisé pour simuler l'impact d'un renchérissement des carburants sur la vulnérabilité (Nicolas et al., 2012), même s'il présente également des limites, notamment l'absence de prise en compte des autres composantes du budget automobile. Parmi les approches alternatives, il est possible d'étendre l'évaluation du taux d'effort à l'ensemble des dépenses de transport, ou de recourir au critère du reste-à-vivre, en ciblant les situations de vulnérabilité les plus critiques. Les approches en coût résidentiel global permettent d'appréhender les dépenses énergétiques de manière plus large en tenant compte simultanément des coûts liés au logement et au transport (e.g., Maresca and Mercurio, 2014; CEREMA, 2016). Plus généralement, il est nécessaire de déterminer la nature des coûts intégrés dans l'analyse de la vulnérabilité. La distinction entre besoins essentiels et non-essentiels représente une première approche, permettant de déterminer des critères d'intervention prioritaires. Celle-ci présente toutefois un caractère par trop normatif, les besoins des individus n'étant pas seulement fonctionnels mais également psycho-sociaux et relationnels. On peut enfin distinguer entre vulnérabilité critique et modérée, ainsi qu'entre vulnérabilité structurelle ou conjoncturelle, en lien avec le caractère plus ou moins durable des évolutions de prix. Au-delà des indicateurs retenus, l'inconvénient des approches classiques de la vulnérabilité est qu'elles sont généralement statiques, c'est-à-dire qu'elles ne prennent pas en compte les stratégies d'adaptation déployées par les ménages afin de réduire leur vulnérabilité à long terme (e.g., Cascajo et al., 2014), que l'on peut appréhender à partir du concept d'élasticité (e.g., Calvet et Marical, 2011). L'approche retenue ici consiste à mettre en perspective les résultats d'une approche dynamique tenant compte des ajustements de comportements, avec ceux d'une approche statique, dans laquelle on suppose que les comportements demeurent inchangés. On s'appuiera pour cela sur les données du panel ParcAuto, qui présentent l'avantage d'être disponibles sur plusieurs décennies, et permettent donc d'analyser les variations de l'usage de la voiture au fil du temps en lien avec la volatilité des prix des carburants. Sous une hypothèse de doublement des prix du carburant, on envisagera différents scénarios qui divergent par les hypothèses sur l'évolution des revenus et les progrès réalisés en matière d'efficacité énergétique des véhicules. Parmi les divers scénarios, les plus bénéfiques sont ceux dans lesquels l'augmentation du prix des carburants est amortie par les gains d'efficacité énergétique, permettant de contenir la vulnérabilité aux niveaux actuels. A l'inverse, les scénarios sans progrès technique entraînent une augmentation de la vulnérabilité, allant de pair avec son extension à de nouveaux groupes sociaux et territoires. L'évolution des inégalités exerce également une influence sur la vulnérabilité future, les scénarios de croissance inégalitaire des revenus étant les plus défavorables. Bien que les stratégies d'adaptation permettent d'atténuer la vulnérabilité à long terme, celle-ci augmente toutefois de manière significative en l'absence de progrès technique. Les catégories les plus impactées sont les ménages des classes moyennes et les résidents des petites aires urbaines et de l'espace rural. Ces résultats soulignent la nécessité de poursuivre les efforts en matière d'innovation technologique et de diffusion des nouvelles motorisations, de mettre en œuvre des aides financières sélectives en direction des catégories de ménages et des territoires les plus impactés, ainsi que de développer les offres alternatives à la voiture individuelle dans les petites aires urbaines et l'espace rural.