Up-setting fables

Les nouveaux médias auraient la propriété de pouvoir coller aux faits, de nous livrer des images nues, nées sans préméditation, non déjà transies par un discours explicatif ou un narrateur intentionné. Pourtant quand il s'agit de filmer la révolution en cours, Stefano Savona ou Virginie Guibaud trouvent le besoin de dépasser ces collections d'images brutes. Pour eux, quelles propriétés précieuses apportent en supplément le cinéma ? : la narration, le récit en première personne, un certain regard, des parcours. Il permet de raconter des histoires. Mais voilà, ce supplément qu'apporterait le cinéma serait-il donc ce vieil art des histoires, de la représentation, " fiction " ou " fable " qu'Aristote mettait déjà en avant (et que littérature, théâtre et peinture n'ont cessé de déconstruire)? Pour J. Rancière, le cinéma, en tant qu'art, entre dans un jeu bien plus complexe avec la représentation. Il contraste le présent âge esthétique à celui classique fondé sur la représentation. En analysant certaines oeuvres, il montre que les procédures d'art du cinéma doivent construire des dramaturgies qui contrarient ses pouvoirs naturels. L'art cinématographique chevauche mais contrarie sa tendance technique et représentative. La fable cinématographique est ainsi une fable contrariée. Et pour contrarier sa servitude, le cinéma doit d'abord contrarier sa maîtrise. C'est non seulement dans la résistance aux pouvoirs de l'industrie et l'économie qu'il se sauve mais avant tout dans une invention chaque fois renouvelée de formes de résistance à la représentation. Il conserve ainsi un pouvoir de critique contre la pente représentative, totalisante, explicative. Or il nous semble qu'une même pente vers la représentation traverse de part en part les organization studies. Ici aussi il s'agit d'apporter des représentations, ajuster un modèle ou un récit - positivisme et constructivisme se rejoignant pour glisser sur cette pente. Ici aussi une critique de la représentation s'en est alarmée et il nous semble que certains grands textes jouent sur une semblable fable contrariée. Le but de cette communication est d'analyser comment dans quelques oeuvres cinématographiques ont été inventés des jeux entre représentation et résistance à cet ordre représentatif, dans la tension entre le désir de capter le réel avant tout récit et la régression infinie du poème du poème, et se demander s'il n'y a pas là un potentiel pour les organization studies. Se demander si ce n'est pas avant tout dans une résistance à la représentation et à sa propre maîtrise que peut se conserver une forme de critique artiste en organization studies, dans l'invention de formes qui proposent et s'opposent à la représentation, de récits qui au lieu de réciter tentent de se résister. Nous tenterons de suivre le modèle de Rancière (2011), dans sa position d'amateur, montrant les écarts et tensions entre narration et résistance à la narration, entre formes et émotions, divertissement et politique dans des oeuvres bien différents telles que Mulholland Drive, Adaptation, Eternity and a day, Inception, nous tenterons de montrer quelques éléments de ce jeu subtil entre représentations et contradictions de celle-ci, construction et mise en défi d'une fable, tension entre image et intrigue, ellipses et hors champs, etc. Nous verrons en parallèle comment des procédés analogues existent dans A Space on the Side of the Road de K. Stewart, et Aramis or the love of technology de B. Latour. Rancière, 2001, La Fable cinématographique, Editions du Seuil. Rancière, 2011, Les Ecarts du cinéma, La fabrique.