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Arts et argent

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  • Xavier Greffe

    (CES - Centre d'économie de la Sorbonne - UP1 - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique)

Abstract

De Théophile Gautier dénonçant les jugements sur l'art émis par les non-artistes à Andy Warhol voyant dans l'argent le couronnement de toute création artistique, les relations entre arts et argent sont tumultueuses. Jusqu'à la Renaissance les activités artistiques ne sont pas séparées d'autres activités, elles renvoient à une habileté technique et elles entretiennent avec l'argent les mêmes rapport que toute autre activité « réelle. » Avec la fin des systèmes corporatistes et académiques et la liberté de jugement reconnue aux individus, l'art devient une activité libérale qui entend trouver sa fin en elle-même. Il suscite des regards désintéressés pour reprendre l'expression de Kant et il devance la proposition de Malevitch : « Jusqu'ici il n'y a pas eu de tentative picturale en tant que telle sans toute sorte d'attributs de la vie réelle. La peinture c'était le côté esthétique de l'objet mais elle n'a jamais constitué son propre but. » Aujourd'hui, les discours sur les arts comme levier de développement et les plaidoyers en faveur des industries créatives entrent en force dans le paysage artistique. Ses activités y sont de plus en plus présentées comme satisfaisant non seulement des besoins esthétiques, mais des besoins de loisir, de décoration du cadre de vie, d'embellissement des marchandises, voire de production de l'image que chacun de nous entend donner de lui-même. L'on parle alors de valeurs extrinsèques des arts aux côtés de leur valeur intrinsèque, et les mesures de l'empreinte des activités artistiques s'en ressentent. En fonction du périmètre choisi, valeur intrinsèque seule ou additionnées aux valeurs extrinsèques, l'empreinte artistique des arts sur l'économie passe de 2,5% à 7,5% pour un pays comme la France.4 A la désillusion des lendemains de la vie de bohème, s'oppose désormais un discours euphorique sur l'esthétisation d'un monde nourri de technologie et de finance. Mais une chose est de constater la place des arts dans la société contemporaine, autre chose de comprendre les relations des arts avec l'argent. A la fin du 18e siècle les philosophes du beau se demandent pourquoi des visiteurs s'arrêtent devant un tableau, écoutent des musiciens ou lisent un ouvrage. Ils prêtent alors aux arts une qualité unique et singulière, une impression sensible irréductible à toute autre, un je ne sais quoi dont ils essaient de faire une catégorie. Il en va d'ailleurs de même lorsque l'artiste crée son oeuvre. Au même moment, la science économique naissante se pose une question inverse: comment définir, comparer et agréger la valeur de productions variées alors même que leurs utilités changent d'une personne à l'autre ? Ici, nos sentiments ne compteront s'ils épousent une forme monétaire commune. Là où l'esthétique fait miroiter un particulier au sein de quelque chose de général, l'économie politique entend dépasser cette variété des ressentis en appliquant une règle générale à toute situation particulière. Si la distinction entre les finalités de l'esthétique et de l'économie politique est claire, la transgression qui entend rationaliser la valeur de l'art à l'aide du medium argent devient dangereuse, tant l'on risque alors de prétendre éclairer les choix artistiques en commençant par en gommer l'originalité. Pour expliquer la valeur économique des oeuvres d'art – laquelle ne saurait traduire leur valeur esthétique comme on le soulignera plus bas – on doit se demander pourquoi une demande de biens artistiques se manifeste. Dans un premier cas, on souhaite accéder à un bien ou une activité artistique parce que l'on y cherche ce ‘je ne sais quoi' ou cette émotion. Le regard ainsi porté est désintéressé car il s'attache exclusivement à ce seul apport indépendamment de toute autre considération. Dans un second cas, on souhaite accéder à une activité artistique parce que c'est une manière de réaliser un objectif qui pourrait l'être par d'autres moyens, et l'on utilise alors l'expression de regard intéressé parce qu'on en compare l'intérêt avec d'autres activités pouvant conduire à un résultat comparable. Cette opposition peut se redéployer dans le contraste entre valeur intrinsèque et valeur extrinsèque : la valeur intrinsèque résulte d'un regard porté sur l'art en tant que tel, la valeur extrinsèque vient de ce que le regard voit dans l'art une contribution qui pourrait être obtenue par d'autres activités et d'autres biens. Schiller explicite ces différences à l'aide de l'exemple du couteau : Je peux avoir un couteau sur ma table pour couper du papier ou pour le regarder parce que je le trouve beau.5 Dans le premier cas je compare mon couteau à un autre outil et je choisis entre eux en terme de leurs efficacités et de leurs prix respectifs. Dans le second cas, le prix perd de son pouvoir explicatif quant au choix que je fais ou non d'acheter ce couteau : j'éprouve une émotion en regardant cet objet, et cet arrêt sur image lui donne une signification différente de celle d'objet pour découper. Pour Kant, le sentiment esthétique n'est donc pas intéressé par la possession ou l'utilisation du bel objet mais par sa contemplation. Face à la contemplation, le regard est désintéressé, là ou la « possession » ou l' « utilisation » déclenchent des regards intéressés. Cette distinction des regards vaut autant pour les artistes que pour ceux qui « regardent » ou « possèdent » l'art. Lorsque l'on parle d'instrumentalisation de l'art, on souligne que l'artiste peut tout autant s'inscrire dans la perspective de regards désintéressés en suivant sa propre créativité que mobiliser son activité créatrice pour satisfaire des regards ou demandes intéressées. Lorsque dans l'Almanach du Blaue Reiter Kandinsky écrit que l'enjeu n'est pas de trouver la belle forme mais la bonne forme, il laisse d'ailleurs entendre que les cheminements de ces regards ne sont peut être pas si éloignés l'un de l'autre, mais que leurs points d'aboutissement ne sont pas nécessairement les mêmes. Cette tension entre regards désintéressés et regards intéressés trouve une correspondance dans la manière dont on considère l'argent. En tant que numéraire ou moyen de paiement, l'argent facilite les échanges, et il apparaît alors comme relativement neutre en respectant la nature du regard désintéressé. En tant que réserve de valeur et levier d'accumulation, l'argent conduit à exercer des arbitrages dans la nature des besoins que l'on entend satisfaire, tant du côté des artistes que de ceux qui les regardent et cette logique est sous-jacente au regard intéressé. Il peut tout aussi bien reconnaître l'originalité des besoins artistiques que la dissoudre dans uns comparaison généralisée avec d'autres biens. À l'aune de l'argent-réserve de valeur, l'art devient une activité parmi d'autres, ses œuvres un type de marchandise, les artistes passant d'un secteur d'activité à l'autre en fonction de l'intensité des demandes. Là où l'on parle souvent d'autonomie de l'art, le medium de l'économie de marché lui impose un principe d'hétéronomie. Mais de même que les regards s'entremêlent, les dimensions de l'argent se chevauchent, ce qui rend difficile la réponse à des questions ici fondamentales: comment expliquer le prix des œuvres d'arts ? Quel revenu les artistes peuvent-ils espérer retirer de leurs activités ? Quelle est la viabilité des projets et des entreprises artistiques ?

Suggested Citation

  • Xavier Greffe, 2017. "Arts et argent," Université Paris1 Panthéon-Sorbonne (Post-Print and Working Papers) halshs-01476324, HAL.
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